vendredi 25 janvier 2013

Botond




Les Hongrois n'arrivaient pas à accepter leur défaite en Allemagne. Leur humeur belliqueuse ne baissant pas, dès qu'ils se ressaisirent, ils allèrent se battre contre les Grecs. Ils se rendirent jusqu'à la ville où régnait l'empereur. Mais celui-ci avait tellement peur de l'armée hongroise qu'il ordonna de fermer les sept portes de la ville. Il fit dire qu'il serait dommage que les soldats grecs et hongrois continuent de se battre et il demanda qu'ils ne s'entre-tuent plus. Il préférait que deux vaillants soldats, un grec et un hongrois mesurent leurs forces dans un duel. Il dit que si le soldat grec l'emportait, les Hongrois devaient retourner dans leur pays. Si le soldat hongrois était le vainqueur, il payerait une grosse somme d'argent à l'armée hongroise.
Le chef des Hongrois accepta:
«C'est bien, dit-il, que le vaillant guerrier grec vienne.»

Les émissaires s'en allèrent et une heure après, un soldat grand comme un géant sortait par la porte de la ville. En croisant les bras, il s'arrêta devant les Hongrois et dit fièrement:
«Voyons, qui aurait le courage de se mesurer à moi? Qu'ils viennent à deux, car je ne livrerai pas bataille à un seul!»

Les Hongrois se regardèrent d'un air entendu, leurs yeux lancèrent des éclairs, et cent soldats hongrois crièrent en même temps:
«Je vais me mesurer à lui!
-Je vais me mesurer à lui, moi aussi!»

Parmi eux tous, c'est Botond qui était le plus courageux. Il était trapu et très fort. Il sortit du rang et se présenta devant le guerrier grec.

«Écoute-moi, géant grec! Je m'appelle Botond, je suis le soldat le plus petit parmi les Hongrois. Mets à tes côtés plutôt deux Grecs!»

Tout en prononçant ces phrases, il fit tourner sa masse d'armes et la lança avec une telle force contre la porte de la ville qu'elle se fendit en deux. La masse d'armes avait fait un si grand trou dans la porte qu'un enfant à petite taille aurait pu y entrer et en sortir.

«Holà! s'énerva le géant, ça n'était pas la peine de jeter cette masse!»

«Je n'ai besoin ni de masse d'armes, ni d'épée!» dit Botond, et il se précipita sur le géant. Il le fit tournoyer une fois à gauche, une fois à droite. Il le saisit et le lança en l'air. Il le rattrapa et le flanqua par terre avec une telle force que même si le Grec avait eu sept âmes, toutes les sept se seraient échappées.

A la suite de cette défaite, l'empereur grec fut tellement honteux qu'il aurait voulu se cacher six pieds sous terre. Avec toute sa famille et de la cour royale, ils avaient été tous convaincus que le géant grec serait capable de vaincre n'importe quel adversaire hongrois! Eh bien, même le plus petit d'entre eux était plus fort que le géant! A sa grande honte, l'empereur se retira dans son palais et paya la somme que les Hongrois demandaient.

vendredi 18 janvier 2013

La Fée Ilona et le Prince Argus






Il était une fois un roi qui avait trois fils. Dans le jardin du roi se trouvait un pommier en or. Cet arbre fleurissait la nuit et ses fruits étaient mûrs à l'aube. Chaque matin, le roi faisait ramasser les pommes et ainsi, il devint des années après, le roi le plus riche du monde.

Un beau matin, il trouva son pommier sans aucun fruit. Pas de fruits le lendemain non plus. Le troisième jour, il annonça qu'il donnerait la moitié de son royaume à celui qui défendrait ses pommes d'or contre les voleurs. Ses fidèles serviteurs, à tour de rôle, montèrent la garde sous le pommier. Mais vers minuit ils succombèrent tous au sommeil. Quand ils se réveillèrent, toutes les pommes qui avaient mûri pendant la nuit avaient disparu.

Les trois princes se réunirent et décidèrent de surveiller le pommier. D'abord, ce fut l'aîné qui commença, suivi par son frère cadet. Mais ils échouèrent. Le benjamin, du nom d’Argus, était beau comme un ange. Vint son tour. Il prit son épée et emporta un coffret en or rempli de tabac à priser. Puis il s'étendit au pied du pommier et regarda autour de lui sous la clarté de la lune. Soudain, il commença à céder au sommeil. Il ouvrit son coffret en or, il prisa du tabac et éternua si violemment qu'il n'eut plus sommeil. A ce moment là, treize corbeaux s'approchèrent de l'arbre. D'un geste habile, Argus attrapa le premier corbeau par les pattes. Il savait que c'était lui le chef des voleurs. Mais à peine l'avait-il attrapé que le corbeau se transforma en une splendide jeune fille. Elle était si belle que le Prince en tomba tout de suite amoureux.

«Belle voleuse, qui es-tu ? demanda le Prince. Je ne te laisserai plus jamais partir.
- Je suis la Fée Ilona, dit-elle, et ces corbeaux sont mes amies. Je ne peux pas rester plus longtemps avec toi, mais je te promets de revenir chaque soir et je te laisserai les pommes.»

Les treize corbeaux s'envolèrent avec fracas.

Le lendemain, à la plus grande surprise de la cour royale, les pommes d'or étaient au complet sur l'arbre. Le roi embrassa son fils sur le front et celui-ci demanda à son père la permission de continuer à garder le pommier.
Et ce fut ainsi. Nuit après nuit, Argus alla surveiller le pommier et à chaque fois il rencontra la Fée Ilona.
Cependant, vivait à la cour royale une vieille sorcière. Elle épia Argus et la Fée Ilona. Elle se cacha derrière les buissons et le matin suivant raconta au roi ce qu'elle avait vu.

«J'ai vu le Prince assis sous le pommier en or en compagnie d'une fille merveilleuse aux cheveux blonds. Elle est apparue sous la forme d'un corbeau et elle s'est transformée en une superbe jeune fille aux cheveux d'or.
- Tu mens! cria le roi, ce que tu dis n'est pas vrai.
- Bien sûr que c'est vrai, Majesté. Si vous le souhaitez, demain je vous le démontrerai.»

Le lendemain, la vieille sorcière attendit que le Prince et la  Fée Ilona s'endorment. Elle sortit alors de derrière les buissons et coupa une mèche d'or des cheveux de la Fée Ilona. Quand celle-ci se réveilla, elle constata qu'une mèche d'or lui manquait. Elle embrassa le Prince, enleva une de ses bagues et la passa au doigt du Prince.

«Je te l'offre, dit-elle. Je te reconnaîtrai à cette bague n'importe où dans le monde.»

Elle claqua dans ses mains, se transforma en corbeau et s'envola.
Le lendemain, la vieille sorcière alla voir le roi et lui montra la mèche d'or. Le roi fut très étonné et il appela tout de suite le Prince Argus.

«Mon cher fils! Tes frères se sont déjà tous mariés, il est temps que je te marie, toi aussi. J'ai trouvé une riche princesse pour toi, je crois que tu n'auras rien à redire.
- Mon cher père! Je vais me marier à condition que je puisse choisir moi-même ma future épouse. D'ailleurs, c'est déjà fait, c'est la Fée Ilona que j'épouserai.»

La réponse déplut fortement au roi, mais il n'arriva pas à convaincre le Prince qui prit son épée et s'en alla tenter de retrouver la Fée Ilona. Toute la cour royale fut plongée dans le deuil.

Le Prince traversa presque la terre entière, mais ne retrouva pas la Fée Ilona. Il interrogea le Soleil, la Lune, et même le Vent, mais nul ne pouvait le renseigner. Il traversa la montagne de verre et arriva à une grande plaine plongée dans l'obscurité. Il grimpa à un arbre, regarda autour de lui et aperçut une petite lumière dans le lointain. Il s'en approcha et se trouva devant un beau château. Il frappa à la porte qui s'ouvrit toute seule. Il croisa un géant qui avait un oeil sur le front.

«Bonsoir, Majesté! Auriez-vous des nouvelles de la Fée Ilona? Où pourrait-elle bien être?
- Tu as la chance de m'avoir salué comme il le fallait, autrement je t'aurais condamné à mort! Je suis le roi des animaux et je ne sais rien de la Fée Ilona.»

Il siffla et tous les animaux se retrouvèrent dans la cour. Le roi les questionna en détail sur la Fée Ilona, mais ils ne savaient rien. Finalement, un loup boiteux s'avança et dit :

«Moi, je sais quelque chose. Elle habite au-delà de la Mer noire, là où je me suis cassé la patte.
- Alors emmène le Prince là-bas, ordonna le roi.»

Le Prince se mit sur le dos du loup boiteux qui marcha ainsi durant cent ans. A la fin de la centième année, il déposa le Prince et lui dit:

«Moi, je ne peux pas aller plus loin, mais tu vas retrouver toi-même ton chemin. Tu dois aller toujours tout droit.»

Le Prince fit ainsi. Il arriva dans une vallée entourée de trois montagnes. Trois diables y étaient en train de se battre. Il s'approcha d'eux et leur demanda pourquoi ils se bagarraient.

«Notre père est décédé et nous a laissé ce manteau, ce fouet et ces chaussures qui ont un pouvoir magique : si tu enfiles ce manteau, si tu mets ces chaussures et si tu fais claquer ce fouet à plusieurs reprises en disant : Hip!-Hop! Que je sois où je veux être !  et voilà, c'est fait. Mais nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord.
- Alors, je vais vous rendre justice tout de suite, dit le Prince. Faites la course et celui qui sera arrivé le premier au sommet de cette montagne-ci, aura les trois objets.»

Ainsi firent les trois diables. Le Prince suivit leurs indications. Vêtu du manteau et des chaussures, il fit claquer le fouet à plusieurs reprises et répéta la phrase „Hip!-Hop! Que je sois où je veux être!”...et ô miracle...il se retrouva devant un palais merveilleux. Il frappa à la porte et, à sa grande surprise, une sorcière ouvrit la porte et lui dit:

«Je sais ce qui t'amène ici. Si tu suis mon conseil, tu peux libérer la Fée Ilona. Elle ne peut circuler librement que jusqu'à minuit, tu ne peux la voir qu'à ce moment-là. Mais méfie-toi, tu dois résister à la magie et rester réveillé, autrement tu vas rentrer bredouille.
- Rien n'est plus facile que cela!», pensa le Prince.

Il s'allongea pour se reposer, car minuit était encore loin.

A minuit juste, la vieille sorcière souffla dans le sifflet magique dont le son endormit le Prince. Quand la Fée Ilona arriva, elle se réjouit d'abord à la vue du Prince et constata ensuite qu'il était tombé dans un sommeil profond.

«Réveille-toi, mon Prince charmant! Si tu m'embrasses trois fois, je serai libérée de la magie. Réveille-toi, mon Prince charmant!», dit la Fée Ilona.

Elle revint trois fois, trois nuits de suite. La quatrième nuit, elle arriva par la fenêtre et retrouva la sorcière endormie. Elle ronflait tellement fort que même les murs épais du château tressaillaient. Le Prince embrassa trois fois la Fée Ilona dont la mèche d'or repoussa. Le Prince fit claquer le fouet à plusieurs reprises et dit: „Hip!-Hop! Que je sois avec ma Fée Ilona dans le château de mon père!”

Ainsi fut fait. Le roi était content que son fils épouse une fille aussi merveilleuse. Ils donnèrent un grand repas de noces, et ils vivent encore aujourd'hui s'ils ne sont pas morts entre temps.


***
Suivez le lien suivant pour écouter ce conte, narré avec beaucoup d'entgouement par Eliane Marny: L'Oreillette à Lulu - Emission 221

 

samedi 12 janvier 2013

Le gardien d'oies Mathias



Conte imaginé par Emily (7 ans)
Il était une fois une femme très pauvre qui avait un fils. Il s'appelait le gardien d'oies Mathias car il ne faisait rien d'autre que garder les oies de sa mère.
Un jour celle-ci dit à son fils:
«Va Fiston à la foire de Döbrög1 et vends seize oies là-bas. Demande au moins deux kreutzers2 pour deux oies, autrement je t'assure que tu vas voir ce que tu vas voir!»

Mathias fit entrer seize oies à la foire à Döbrög. A peine fut-il arrivé que le seigneur du lieu apparut devant Mathias et lui demanda:
«Combien valent deux oies, fiston ?
- Deux kreutzers, répondit Mathias.
- Comment ? Deux kreutzers ? Un suffira.
- Certainement pas ! dit Mathias. Au dessous de deux kreutzers je ne les vends pas même si c'est le roi qui le demande.
- Et puis quoi encore ? Je te donne tout de suite deux kreutzers.»

Le seigneur fit signe à ses gens d'armes de faire rentrer les seize oies dans sa cour. Les gardes ligotèrent Mathias qui reçut une raclée ! Vingt-cinq coups de bâtons sur le dos !

«Maintenant tu peux rentrer chez toi, dit le seigneur.
- Et l'argent? demanda Mathias en pleurant.
- Ce n'était pas assez? Encore une série de vingt-cinq!», ordonna le seigneur.

Les gens d'armes obéirent.
Après avoir reçu la deuxième série de raclée, en quittant la cour du seigneur, Mathias se retourna et le menaça:
«Retenez bien, Seigneur que la gardien d'oies Mathias vous rendra trois fois les coups de bâtons!»

Le seigneur rit de bon cœur, et fit peu état des menaces de Mathias.
Le temps passa, une année après l'autre. Mathias devint un jeune homme et il changea complètement.
Un jour, il entendit dire que le seigneur construisait un château. La pensée lui vint de se déguiser en maître charpentier. Il alla dans la ville, se dirigea directement dans la cour du seigneur. Il commença à arpenter et examiner les poutres en secouant la tête. Le seigneur s'approcha de lui et dit:

«Que regardez-vous sur ces poutres?
- Je suis venu d'un pays étranger, je suis maître charpentier, j'ai parcouru beaucoup de pays, j'ai vu construire plus d'une centaine de poutres, les unes plus belles que les autres. Mais permettez-moi de vous dire que la qualité de ce bois ne convient pas. Ici il faudrait mieux que cela.
- Si ce n'est que cela, dit le seigneur, dans ma forêt j'ai des arbres plus beaux que ceux-ci, allons-y, choisissons-en!»

Il détacha tout de suite cent bûcherons munis de haches, il monta avec Mathias dans le carrosse et ils se dirigèrent vers la forêt.
Sur place Mathias choisit les arbres à découper. Les bûcherons se mirent au travail. La forêt en trembla de tous ses arbres.
«Seigneur, je vois vraiment de beaux arbres ici, dit-il, mais je n'ai pas encore vu celui dont on aurait le plus besoin.
- Allons plus au fond», dit le seigneur.

Ils pénétrèrent bien loin dans la forêt en s'éloignant des autres. Quand ils n'entendirent plus le bruit des haches, Mathias s'arrêta devant un arbre. Il le regarda, l'examina, se frappa le front et entoura l'arbre de ses bras.
«Alors, dit-il, je crois que celui-ci ira bien. Venez Seigneur, entourez-le de vos bras, vous aussi.»

Le seigneur obéit et Mathias n'en voulait pas plus. Il attacha les poignets du seigneur et lui administra une raclée de cinquante coups de bâtons. Quand il eût fini, il ricana et dit:
«Je ne suis pas maître charpentier. Je m'appelle le gardien d'oies Mathias. Vous rappelez-vous ma promesse? Retenez bien, je vais vous frapper encore deux fois.»

Ainsi parla-t-il. Puis il quitta le seigneur et rentra chez lui.
Le seigneur ne fut retrouvé par ses bûcherons que vers le coucher du soleil. Après cette raclée, il tomba malade à tel point que les médecins ne surent plus comment le soigner. Ils firent appeler des quatre coins du monde des confrères mais aucun ne fut capable de le guérir.

Mathias apprit cette nouvelle. Il se déguisa en médecin et monta dans le château. Il se présenta comme grand médecin d'un pays étranger capable de faire des miracles en échange d'une bonne rémunération. L'entourage du seigneur en fut heureux, et l'amena devant le malade.
«Dans un jour je vais vous guérir. Que tout le personnel dont vous disposez aille dans la forêt et ne revienne qu'avec les plantes aux vertus magiques que je demanderai. Que vos gens cueillent tout ce qu'ils trouvent!» ajouta-t-il.

Le seigneur ordonna cela et même les enfants sortirent dans le bois. Nul ne resta dans le château. Et Mathias ne se le fit pas dire deux fois. Il sortit sa baguette et fouetta bien le seigneur.

«Je ne suis pas médecin, Seigneur, je m'appelle le gardien d'oies Mathias. Vous rappelez-vous ma promesse? Je vous dois encore une rossée! Mais je vous assure que je ne demeurerai pas en reste.»
Le temps passa, une année suivit l'autre sans que Mathias se rende dans la ville. Quand son histoire avec le seigneur commença à tomber dans l'oubli, il se déguisa en marchand de chevaux et alla à la foire de Döbrög.
Il fit le tour des étals, écouta les gens marchander. Il s'arrêta de temps en temps devant les chevaux et discuta leur prix, lui aussi. A un moment, il entendit vaguement qu'un homme avait deux beaux chevaux mais qu'il n'arrivait pas à les vendre car ils étaient poussifs, tous les deux. Il s'approcha de l'homme et lui dit: «Écoutez, je les achète à condition que vous criiez après le seigneur quand il arrivera: «C'est moi qui suis le gardien d'oies Mathias.»
- Si ce n'est que votre seul souhait, je le ferai avec plaisir», dit l'homme.

L'affaire fut conclue : ils se serrèrent la main et Mathias acheta les chevaux. En plein milieu de la foire, le carrosse du seigneur arriva.
«Tenez, il arrive là-bas, dit Mathias. Criez après lui : «C'est moi qui suis le gardien d'oies Mathias» et courez loin tout de suite.
- Vite, vite! ordonna le seigneur au cocher et au haïdouk. Dételez les chevaux et ramenez-moi ce voyou!»

Quand le cocher et le haïdouk s'en allèrent, Mathias, d'un bond fut à côté du carrosse et administra une raclée de vingt-cinq coups de bâtons au seigneur.
Après le dernier coup, il cria ainsi après le seigneur:
«C'est moi qui suis Mathias L'Oie, pas lui! J'ai tenu parole, n'est-ce pas? Je vous ai battu trois fois pour les oies!»

Et, je vous le dis, si Mathias avait battu encore une fois le seigneur, mon conte aurait duré plus longtemps.


1 A prononcer "Deubreugue"
2 Ancienne monnaie autrichienne et hongroise


Le roi Mathias et les gens de Rátót (Version Audio)

JE VOUS INVITE À ÉCOUTER CETTE HISTOIRE, NARRÉE PAR MICHEL LEFEVRE, UN FABULEUX CONTEUR BRETON:


Conte imaginé par Endre Stankowsky 

Un jour, le roi de Hongrie, Mathias était à peine arrivé à Rátót1 qu’en plein milieu du village, l'une des roues de sa voiture attelée se cassa net. La nouvelle de l'arrivée de Mathias se répandit vite. Les autorités se dépêchèrent d’aller le voir pour le saluer.
Les édiles l’accompagnèrent dans la Maison Communale afin qu'il puisse se reposer en attendant la réparation de la roue.
Ces doctes magistrats se réunirent vite et discutèrent de ce qu'ils allaient offrir au roi Mathias.

«Offrons-lui des noix ! proposa le notaire.
 -Offrons-lui plutôt des prunes! dit le juge, parce que les prunes de Rátót sont d'une qualité exceptionnelle.»

En effet, la région était connue pour cette culture là.

En écoutant cette proposition, ils furent tous d'accord. Ils mirent des prunes dans les paniers et ils se rangèrent afin de se présenter devant le roi. Le juge leur ordonna de tout faire de la même manière que lui et de l'imiter en chacun de ses gestes.
Quand ils arrivèrent devant le roi, le juge se présenta donc le premier, trébucha sur le tapis et tous les prunes tombèrent aux pieds de Mathias. Mais les autres n'attendaient que cela. Ils trébuchèrent les uns après les autres si bien que toutes les prunes s'étalèrent aux pieds du roi.
Mathias riait tellement qu'il faillit en tomber à la renverse.

Quand les gardes royaux virent la bêtise des gens Rátót, ils se mirent en colère, empoignèrent les prunes et les jetèrent à la tête de tous ces sots.
Les magistrats sortirent complètement affolés et partirent en tous sens dans les rues du village. Quand ils furent à l'abri de la colère des gardes, ils s’arrêtèrent et l'un d'entre eux s'exclama:

«Notre juge est quand même un homme intelligent. Il savait bien qu'il fallait offrir des prunes au roi ! Vous imaginez ce qui nous serait arrivé si nous lui avions apporté des noix?»

1 Village du comitat de Vas en Hongrie












jeudi 10 janvier 2013

Yanco Grain-d'orge


Source:meseoldal.blog.hu
Il était une fois un tailleur qui avait un fils. Il était si petit que,  parvenu à l'adolescence, il devint à peine plus
grand qu'un grain d'orge. Son corps était petit mais son courage était grand. Un beau jour il se mit devant son père, se redressa de toute sa taille et dit:
«Mon cher père, je veux parcourir le monde.
-Très bien. Que la chance t'accompagne sur ton chemin.»

Son père prit une aiguille, alluma une bougie et forma une petite boule de cire fondue qu'il piqua comme une poignée sur la tête de l'aiguille. Il remit alors cette arme minuscule à son fils.
«Tiens, maintenant tu as au moins une épée pour la route», dit le tailleur.
«Merci, mon père! Je vais bientôt partir mais avant cela je voudrais partager un dernier repas avec vous», dit le fils.

Sur ce, il bondit dans la cuisine pour regarder ce que sa mère préparait. Sur le feu, dans une grande marmite quelque chose mijotait.
«Qu'est-ce que nous allons manger, ma chère mère ?» demanda-t-il, se mêlant de ce qui ne le regardait pas.

La vieille dame n'aimait pas être dérangée pendant qu'elle faisait la cuisine.
«Regarde toi-même puisque tu es si curieux», lança-t-elle.

Bien sûr qu'il était curieux puisqu'il aimait les bons plats. Il sauta sur le poêle, bascula un peu le couvercle et jeta un coup d'oeil à la marmite d'où la vapeur jaillit. Celle-ci souleva le petit bonhomme et l'emporta par la cheminée. Yanco, c'était son nom, chevauchait pendant un bon moment le petit nuage frisé. Puis, il redescendit sans difficulté sur terre, regarda autour de lui et dit:
«Ça alors, je suis dehors, c’est donc ça le vaste monde!»

Il partit à la recherche d’un travail. Puisque son père l’avait formé à son métier, il se fit embaucher comme aide chez un tailleur. Le maître était content de son travail et Yanco de sa place. Il n’avait qu’une objection : il n’appréciait décidément pas les plats servis à table. Au bout d'un certain temps, il perdit son calme, alla dans la cuisine et dit:
«Écoutez moi, Madame! Si vous ne nous faites pas une meilleure cuisine, demain matin je m'en vais, mais avant j’écrirai à la craie sur votre portail:

En ce lieu que des patates,
de la viande tu n’as pas le bénéfice !
Adieu, Roi des patates !
Que Dieu te bénisse !»

La femme fut saisie de colère et donna un coup de torchon au petit bonhomme qui se réfugia sous un dé d'où il lui tirait la langue.
«Attends un peu, tu vas voir ce que tu vas voir!» dit la femme.

Le temps qu'elle soulève le dé, Yanco s'était déjà caché dans le pli du torchon. Quand la maîtresse de maison secoua le torchon, Yanco, d’un seul bond bien dirigé, sautait dans une fente de la table.
«Coucou, me voilà!» dit-t-il avec moquerie tantôt sortant de la table, tantôt jaillissant du tiroir, tantôt sautant sur le dossier d'une chaise.

La maîtresse de maison finit par attraper Yanco et le jeta brusquement à la porte.

Après un long vol, le petit aide tailleur s’écrasa par terre avec fracas. Il se remit debout promptement, se débarrassa de la poussière et reprit son chemin. Il marcha et marcha longtemps jusqu'à atteindre une immense forêt. La nuit tombait. Yanco regarda autour de lui. Il cherchait un endroit pour dormir. Il trouva quelque chose qui ressemblait à un tronc d'arbre parfaitement convenable pour y passer la nuit. Il s’apprêtait à s'allonger au pied du tronc quand celui-ci bougea. En effet, ce n'était pas un arbre mais l'un des pieds d'un homme qui attrapa Yanco par le col et le souleva. Yanco eut beau se démener, mais l’homme lui serrait très fort le cou. L’ascension l’étourdit pendant quelques secondes. Quand il reprit ses esprits, il se retrouva dans le creux de la main de l’homme. En regardant autour de lui, il vit une foule de visages mal rasés. Tous le dévisageaient et haletaient si fort que le pauvre Yanco Grain-d’orge croyait sentir un ouragan passer près de ses oreilles.

«Regarde ce Goliath!» dit d'un ton moqueur l'un des hommes.
«Il vaut plus que tous les passe partout du monde entier. Il n’est pas au monde un trou de serrure si petit où il ne pourrait entrer», dit un autre.
«Écoute, mon gars! Viendrais tu avec nous dans la trésorerie du roi? Tu vas te faufiler par le trou de la serrure et tu vas nous jeter par la fenêtre tout l'argent que tu trouveras. D'accord?» demanda le troisième.

Yanco hésitait un peu, et finalement il accepta. Il comprit qu'il se retrouvait en compagnie de voleurs et en cas de refus ils l'auraient tout de même emmené de force. Il s'installa donc dans la poche de l'un des voleurs et ils allèrent à la trésorerie royale. Mais celle-ci était bien gardée. Deux soldats à baïonnette se tenaient devant la porte. Après avoir débattu entre eux un bon moment, les voleurs finirent par trouver plus judicieux de contourner la trésorerie. Ils se cachèrent dans les buissons sous la fenêtre, laissant Yanco tenter de pénétrer dans la pièce en espérant que la garde ne le remarque pas.
«Tout ira bien! Pourvu que vous ramassiez tout ce que je vais jeter par la fenêtre!» ainsi approuva-t-il le projet.

Sur ce, avec fierté et témérité, il s'approcha de la porte en fer de la chambre du trésor. Il chercha un espace en bas de la porte pour s'éviter la peine de grimper jusqu'au trou de la serrure. En un rien de temps il en trouva un suffisamment large pour s’y faufiler. Il s'avéra qu'il avait sur estimé sa petitesse et il n'avait pas été assez prudent car l'un des gardes l'aperçut.

«Tiens! Quelle vilaine araignée, là, par terre. Je vais l'écraser.» dit-il à l'autre.
«Laisse la vivre, la pauvre! Elle ne t'a pas fait de mal!» répondit son compère.

Ainsi Yanco parvint à la chambre du trésor. Il ouvrit la fenêtre et siffla doucement pour que voleurs sortent des buissons. Yanco se mit à jeter les thalers d'or1 par la fenêtre.

Alors qu'il était en pleine action, il entendit tout à coup des pas approcher, puis la clé grincer dans la serrure. Le roi arriva pour passer en revue son trésor. Aussitôt, Yanco se cacha derrière une pile de pièces. Le roi comprit tout de suite que bien des thalers d'or manquaient. Il ne pouvait imaginer que cela soit possible: qui serait donc le voleur? Le roi gardait toujours la clé sur lui. Ni le cadenas, ni la serrure n'avaient le moindre défaut, de plus la garde était à sa place. Il médita pendant un bon moment. Ne trouvant aucune explication, il retourna dans ses appartements. En passant près des gardes, il leur dit quand même :

«Soyez plus vigilants, faites attention au trésor! Quelqu'un pille les pièces d'or!»

Les soldats prirent peur et tendirent l'oreille. Le roi parti et le silence revenu. Ils entendirent soudain le cliquetis des pièces d'or, Yanco s'était remis à la tâche. Les gardes coururent vite récupérer la clé, la glissèrent dans la serrure, l'ouvrirent et se précipitèrent dans la chambre du trésor pour surprendre le voleur la main dans le sac.

Mais Yanco fut plus rapide qu'eux. Il courut le long du mur et se cacha dans un coin, derrière une pièce d'or. On ne voyait même pas le bout de ses oreilles.
«Où suis je? Je suis ici!» cria Yanco malicieusement.

Le temps que la garde arrivât, il s'était déjà caché dans un autre coin derrière une autre pile de thalers.
«Où suis je? Je suis ici!» cria t il.

Pendant un bon moment, les pauvres soldats coururent de gauche à droite dans la chambre du trésor; mais ils se lassèrent de cette veine poursuite.
«Eh bien, soit!» pensèrent ils.

Ils fermèrent à clé la chambre du trésor, s'assirent de part et d'autre de la porte de fer et ils s'endormirent épuisés. Pendant qu'ils dormaient, Yanco jeta par la fenêtre toutes les pièces d'or. Il sortit par la fenêtre en chevauchant le dernier thaler.

Les voleurs ne cessèrent pas de le complimenter:
«En un mot: tu es un vrai héros! Voudrais tu être notre chef?»

Yanco n'avait aucune envie de le devenir.
«Que je finisse à la potence, sûrement pas!» pensa-t-il.

Néanmoins, il répondit poliment aux voleurs.
«Merci de cet honneur, mais je me dois de décliner votre offre car j'aimerais voir le monde.»
«D'accord, mais partageons au moins le butin!», répondirent les voleurs.

Mais Yanco n'en voulut pas la moindre pièce. Il attacha son épée autour de sa taille, fit ses adieux aux voleurs et reprit sa route. Il travailla ici et là mais il fut vite renvoyé de partout parce qu'il ne tolérait pas l'immobilité.

Après une longue errance, il se fit enfin embaucher par un aubergiste comme serviteur. Mais bientôt, les serveuses ne le supportèrent plus. En effet, le petit bonhomme avait surpris tous leurs secrets.
«Depuis que ce chenapan est ici, nous ne pouvons même pas chaparder une bouteille de vin dans la cave», se disaient-elles. Elles l'auraient volontiers fait disparaître de la surface de la terre.

Mais comment faire? Il fallait juste attendre que l'occasion se présente. Un jour, l'une des serveuses fut envoyée faucher l'herbe dans le jardin. Yanco s'agitait autour d'elle en gambadant d'un brin d'herbe à l'autre.
«Attends, je vais te montrer de quel bois je me chauffe, petit vaurien», pensa-t-elle.

Sur ce, elle lança sa faux et du même coup coupa l'herbe là où Yanco était assis. Il n'eut même pas le temps de dire ouf que la fille le ramassa avec le foin frais. Elle attacha le tout dans une grande toile qu'elle jeta devant le troupeau, où une grosse vache noire avala Yanco avec l'herbe d'un seul trait.

Dans la panse de la vache, régnait une obscurité dense, même pas une petite lueur de bougie. Le petit garçon se sentait très mal dans cette nuit noire. Il attendait impatiemment l'occasion de s'échapper.
Bientôt, celle-ci se présenta car l'heure de la traite arriva. Yanco cria:

«Hopp la ho! Hopp la ho!
Il est temps d'apporter les seaux!»

Mais sa voix se perdit dans le beuglement des vaches. Après la traite, l'aubergiste descendit à l'étable, s'arrêta devant la vache noire et dit:
«Demain, il faudra abattre cette bête.»

Yanco fut effrayé et se mit à hurler à pleins poumons.
«Laissez moi sortir! Je suis à l'intérieur!»
«Où?», demanda l'aubergiste, qui entendait la voix sans savoir d'où elle venait.
«Dans la vache noire!», cria Yanco.
«Tu plaisantes?», demanda avec colère l'aubergiste en croyant à une farce de son domestique. Et il s'en alla.

Le lendemain matin, on abattait la vache et on en fit des petits morceaux. Par chance, Yanco ne fut pas blessé, on le mélangea à la chair à saucisse : salé, poivré et pimenté si bien qu'il ne cessait d'éternuer. Encore une poignée de lard à la recette et le boucher fit les saucisses.

Dans le boyau Yanco manquait de place. Puis, on accrocha les saucisses dans le fumoir où Yanco aurait pu rester et sécher jusqu'à la fin des temps.
Par chance, en plein hiver un hôte arriva à l'auberge et voulut à tout prix manger de la saucisse au petit déjeuner.
«Va chercher une saucisse!» dit la patronne à la fille de cuisine qui décrocha celle où Yanco passait l'hiver.

Ainsi, Yanco descendit du fumoir mais il n'était pas encore hors de danger. La femme de l'aubergiste se mit à couper la saucisse en tranches. Le couteau coupa sec, les tranches tombaient les unes après les autres tandis que Yanco agitait la tête de droite et de gauche afin d'éviter la lame. Quand avec une tranche il tomba sur la planche, il n'hésita plus et se sauva. Il avait déjà eu dans cette maison tant de malheurs qu'il ne voulait plus y rester. Il prit ses jambes à son cou, et sauve qui peut, il ne s'arrêta pas jusqu'à ce qu'il ne soit arrivé aux champs.
«Enfin, je suis au grand air», soupira t il.

Il était sur le point de prendre une grande bouffée d'air frais quand par étourderie un renard errant l'avala avec une sauterelle.
Le petit aide tailleur rassembla toutes ses forces, se campa sur ses jambes et s'accrocha bien fort à la gorge du renard pour ne pas y glisser. Il se mit à crier.
«Ecoute moi, Compère Renard! Je suis le petit Yanco Grain-d'orge, laisse moi sortir!
-Tu as bien raison! Pourquoi j'avalerais un petit de rien du tout? Si tu me promets de me donner les poules de ton père, tu pourras sortir», dit le renard.

Yanco promit. Sitôt dit, sitôt fait, le renard le laissa sortir, et le ramena chez ses parents qui se réjouirent de le revoir. En échange de leur fils, ils donnèrent au renard toute la basse cour. Mais le vieux tailleur avait de la peine car il était attaché à ses magnifiques poules blanches et noires. Voyant sa tristesse, Yanco prit place devant son père et lui dit:
«Ne pleurez pas, mon cher père, je vous ai apporté quelque chose en échange des poules.»

Avec une grande fierté, Yanco donna à son père les quelques thalers gagnés pendant son aventure.

1 Le thaler ou taler est une pièce de monnaie, existant à partir de 1518 en Bohème.

La soupe au caillou




"La soupe au caillou", imaginé par Luca (6 ans)


Il était une fois un jeune soldat qui venait de rentrer de la guerre. Affamé et vêtu de guenilles, il allait de village en village. Mais bien sûr, il n'y avait personne pour lui offrir une bouchée de pain ou un peu de soupe chaude. Il allait de maison en maison, ici on lâcha les chiens et là, on faisait semblant de ne rien avoir. Ainsi poursuivant sa route, il décida :
«Quoi qu'il m'en coûte, dans la prochaine maison où j'entrerai, c'est moi qui ferai une soupe!»
Devant un portail, il trouva un caillou, le ramassa et entra dans la première maison qui était sur son chemin. Elle appartenait à une vieille dame.

«Bonjour la vieille!
-Bonjour mon brave!
-Comment va la santé?
-Elle va comme elle va. Et la vôtre?
-Elle va comme elle peut, mais j'ai faim, je voudrais manger si vous aviez quelque chose à me donner.
-Ah, mon brave, si j'avais quelque chose à donner, je vous le donnerais. Mais moi même, je suis pauvre comme un rat d'église. Je n'ai rien, ma réserve et mon grenier sont vides.
-Alors je ne suis pas aussi pauvre que toi parce que j'ai un beau caillou dans ma poche. Je pourrais en faire une soupe mais j'ai besoin pour cela d'une marmite, dit le soldat.
-Je peux t'en prêter une, acquiesça la vieille dame. Mais je n'ai rien à y mettre.»

Le soldat lava bien le caillou et le mit dans la marmite. La vieille fit du feu. Le soldat versa de l'eau sur le caillou et mit la marmite sur le feu. Il remua plusieurs fois avec une longue cuillère en bois. La vieille dame le regardait du coin de l'oeil. Le soldat goûta la soupe.

«Pour être bonne, elle est bonne, dit le soldat en claquant la langue. Si vous aviez un peu de sel à mettre dedans, elle serait encore meilleure.
-J'ai du sel», dit la vieille.

Le soldat en ajouta dans l'eau, remua et dit:
«Vous savez, si vous aviez une cuillère de saindoux, ça l'améliorerait bien.
-J'en ai, je vous l'apporte tout de suite», dit la vieille.

Elle revint avec une cuillère de saindoux. Ils l'ajoutèrent doucement dans la marmite. Le soldat remua l'eau, goûta, et regarda du coin de l'oeil la vieille dame.

«Vous savez, je sais bien préparer la soupe mais toujours avec de la saucisse. Comme c'est bon!» dit le soldat.
«J'ai de la saucisse, je vais en chercher un morceau dans la réserve», répondit la vieille.
«Prenez en donc deux morceaux, la vieille, un pour vous, un pour moi», dit le soldat.
«J'arrive, j'arrive!» dit la vieille.

Elle revint avec deux morceaux de saucisse. Le soldat les mit dans la marmite, remua et goûta la soupe.

«Vous savez, si vous aviez quelques pommes de terre, nous pourrions les ajouter! Et si vous aviez d'autres légumes, nous la préparerions vraiment comme il se doit.
-J'ai des pommes de terre et des légumes, je vais les chercher», dit fièrement la vieille en se redressant.»

Elle revint vite avec des carottes, du persil et des pommes de terre. Ils les épluchèrent et les mirent dans la soupe. Le soldat remua, goûta et tendit la cuillère en bois à la vieille dame pour qu'elle y goûte, elle aussi.

«Allez, goûtez la, maintenant elle est vraiment bonne.»

La vieille dame s'exécuta et s'en lécha les babines.
«Je n'aurais jamais cru que l'on puisse préparer une si bonne soupe avec un caillou», admit elle.

Ils laissèrent mijoter la soupe encore quelques minutes, puis le soldat dit:
«Si par hasard vous aviez quelques grains de riz, ce serait bien.
-J'en ai», dit elle en s'empressant autour de la marmite.

Ni une, ni deux, ils jetèrent une poignée de riz dans l'eau et d'un air satisfait, le soldat se frotta le ventre.
«Maintenant elle est aussi bonne que celle que je prépare d'habitude», dit il.

Ils attendirent que la soupe soit entièrement cuite. Le soldat s'en servit dans une grande assiette, ensuite il fit pareil à la vieille dame. Ils la mangèrent, tous les deux, de bon coeur.
La vieille n'arrêta pas de s'étonner de la qualité de la soupe au caillou. Quand ils furent rassasiés, elle se tourna vers le soldat.

«Dites moi, mon brave, auriez-vous la gentillesse de me vendre ce caillou? Je n'ai souvent rien à cuisiner et avec ce caillou je pourrais concocter une bonne soupe.
-Bien sûr que si, répondit du tac au tac le soldat en riant dans sa barbe. Pour cent deniers, le caillou est à vous.»

Elle régla vite fait la somme et sortit le caillou de la marmite. Elle l'enroula dans un torchon propre, et elle le mit de côté au cas où un jour elle voudrait préparer une bonne soupe.
Cent deniers dans la poche, le soldat dit très vite au revoir à la vieille dame pour qu'elle ne revienne pas sur sa décision et qu'elle ne lui redemande pas l'argent. Maintenant qu'il était rassasié et avait cent deniers, il marcha gaiement sur la route jusqu'au soir où il trouva une autre vieille dame qui ne savait pas comment il fallait faire la soupe au caillou. Chez elle, il mangea de nouveau à sa faim.
Par contre, je suis incapable de vous dire quelle soupe elle a pu faire avec la pierre.




Le prince transformé en tulipe



"Le prince transformé en tulipe" , imaginé par Raphaëlle (7 ans)



Il était une fois un roi qui avait un fils unique. Un jour, le fils dit à son père :
« Mon cher père, maintenant je m'en vais et je ne reviendrai pas tant que je n’ai pas trouvé la fille la plus belle au monde.
- Vas-y, mon fils, dit le père, je te souhaite bonne chance. »

Le prince suivit un chemin qui le mena dans une forêt dense. Dans un buisson plein d'épines, une corneille croassa désespérément. Elle n'arrivait pas à se dégager des branches épaisses et épineuses.
Le prince, qui avait bon cœur, l'aida à se libérer. La corneille lui dit:
« Tire une des plumes de mon aile et si un jour tu rencontres des difficultés, lance-la en l'air et j'arriverai tout de suite à ton aide. »

Le prince rangea la plume et continua son chemin. En avançant sur la route, il aperçut un petit poisson qui s'agitait dans le creux asséché tracé par une roue de charrette. Le prince eut pitié du petit poisson, l'amena au lac et le jeta dans l'eau. Le poisson lui dit:
« Prends une écaille sur mon dos et si un jour tu rencontres des difficultés, jette l'écaille dans l'eau, et j'arriverai tout de suite à ton aide. »

Plus loin, sur son chemin, il aperçut un vieil homme qui avait faim et soif. Le prince lui donna de bon cœur à boire et à manger. Le vieil homme lui dit:
« Arrache deux de mes cheveux et si un jour tu rencontres des difficultés, lâche-les et j'arriverai tout de suite à ton aide. »

Le prince reprit son chemin et le troisième jour, il arriva à la lisière d'un village. Il entendit dire des villageois qu'un vieux roi y habitait. Il avait une très belle fille et celui qui voulait l'épouser, devrait se cacher trois fois de manière à ce que la princesse ne le retrouve pas.
« Alors, je tente ma chance », pensa le prince.

Il alla chez la princesse et la demanda en mariage. Elle lui dit qu'il devrait se cacher trois fois et que s'il réussissait à le faire au moins une fois sans qu'elle le retrouve, alors elle l'épouserait.

Le prince jeta en l'air la plume. Les corneilles arrivèrent en grand nombre et l'amenèrent au sommet d'une grande montagne. Mais la princesse y alla directement, le retrouva et se moqua de lui.

Le lendemain, le prince jeta l'écaille dans un lac. Un immense poisson nagea vers le bord du lac. Le prince se cacha dans son ventre, mais la princesse arriva avec une épuisette, pêcha le poisson et trouva le prince. Elle se moqua de lui.
Le troisième jour, il libéra les deux cheveux. Le vieil homme arriva et caressa le prince qui se transforma en tulipe. Le vieil homme fixa la tulipe sur le bord de son chapeau. La princesse le chercha en vain.

Le soir, elle annonça officiellement que son prétendant restait introuvable. A ce moment-là, le vieil homme se présenta devant la princesse et lui donna la tulipe rouge. La belle princesse donna un baiser à la fleur qui redevint immédiatement prince.
« Tu es à moi, je suis à toi », dit la princesse.

Les noces eurent lieu le soir même.

Le prince trouva ainsi la plus belle fille au monde et l'amena chez lui, dans son village.

mercredi 9 janvier 2013

Le cerf merveilleux



"Le cerf merveilleux" , imaginé par Raphaëlle (7 ans)




Il y a bien longtemps dans le lointain Orient, à l'endroit où deux grands fleuves se jetaient dans la Mer bleue-comme-le-ciel, s'étendait une ville pleine de richesse et d'une merveilleuse beauté. Sa renommée s'était répandue jusqu'à la limite des terres connues. Nimrod, le roi de cette ville, avait une réputation de sage et de juste. Il allait très souvent à la chasse. Il avait deux fils dont il était très fier. L'aîné s'appelait Hunor, le cadet Magyar. Dès leur plus jeune âge, ils accompagnaient leur père dans toutes ses sorties. Avec le temps, ils devinrent de forts et vaillants gaillards et d'excellents chasseurs. A l'image de leur père, ils adoraient cet art. Ils maîtrisaient à la perfection l'arc et dans les combats leur supériorité écrasante terrassait leurs adversaires à tous les coups.

Un jour, les deux frères décidèrent d'aller à la chasse sans leur père. Chacun choisit cinquante jeunes soldats et tous partirent jusqu'à la frontière du royaume de Nimrod. Ils abattirent avec leurs flèches une centaine d'oiseaux et du gibier. Alors qu'ils s'apprêtaient à rebrousser chemin, devant eux apparut à la lisière de la forêt un cerf d’une beauté merveilleuse. Ils n'en avaient jamais vu de pareil : le cerf était blanc comme neige, ses yeux brillaient comme le diamant, ses deux bois étaient enlacés comme une couronne. Tous étaient fascinés par la beauté du cerf. Le cri tonitruant de Hunor rompit le profond silence.

«A cheval! Abattons-le!»

Rapides comme l'éclair, ils sautèrent en selle et partirent à la poursuite du gibier. Leurs chevaux coururent plus vite que l'ouragan, mais le cerf était toujours plus rapide. Les flèches volèrent , mais le cerf était toujours le plus rapide. Toute la journée, ils le poursuivirent par monts et par vaux. Au coucher du soleil, soldats et chevaux étaient tous épuisés. Ils perdirent complètement de vue le cerf merveilleux. Les deux frères et leurs soldats montèrent le camp et firent un grand feu sur lequel ils préparèrent un savoureux dîner avec le gibier fraîchement abattu.
Autour du feu de camp, ils bavardèrent longuement car ils ne parvenaient pas à oublier le cerf merveilleux.

A l'aube, Hunor et Magyar, déjà levés, s'apprêtaient à rebrousser chemin. Au moment du départ, le cerf merveilleux, comme s'il était sorti de terre ou descendu du ciel, réapparut devant eux.

«Soldat! A cheval! Je donne cent pièces d'or à celui qui l'abat», cria Magyar.

«Allez! Allez!»  crièrent les soldats qui reprirent en chasse le gibier par monts et par vaux. Ils poussèrent des cris de guerre et le tonnerre des  sabots troubla le silence de la région. Ils lancèrent des milliers de flèches, mais à chaque fois le cerf échappa aux vaillants soldats.

Cette chasse sans relâche épuisa hommes et bêtes. Après le dîner, l'humeur n'était pas aussi joyeuse que la veille. Seuls quelques soldats avaient envie de chanter et de danser. Ils pensaient sans cesse à l'animal merveilleux, si bien qu'ils se parlaient peu.

«Demain matin, nous reprendrons le chemin du retour», dit Hunor.
«Qu'il en soit ainsi!» approuva Magyar.
«Nous ne nous laisserons pas séduire par cette bête même si elle est de toute beauté», murmurèrent la plupart d'entre eux.

Le lendemain, tous étaient à cheval quand réapparut devant eux le cerf merveilleux. Il était d'une beauté céleste, il était fier, irrésistiblement beau.

Les deux frères échangèrent un regard, se comprirent sans dire un traitre mot et acquiescèrent. Les éperons enfoncés dans les flancs de leurs chevaux, les cent-deux cavaliers se lancèrent sur leurs cent-deux montures dans une poursuite infernale.
Le cerf attira et mena ses poursuivants toujours plus loin du royaume de Nimrod. Personne ne saurait dire combien de montagnes, de rivières et de plaines ils laissèrent derrière eux.

Au soleil couchant, la troupe fit halte à la lisière d'une immense forêt. Ils mangèrent sans faim la viande fraîchement cuite. Ils n'avaient envie ni de danser, ni de chanter, leur regard se perdait dans le vague. Les hommes, les uns après les autres rejoignirent leur couche. Hunor et Magyar firent de même. Vers minuit, réveillés par une brise qui traversa la forêt, les deux frères croyaient entendre des bribes de conversation.

Magyar partit en direction du bruit, Hunor lui emboîta immédiatement le pas. Arrachés au sommeil, les soldats se levèrent promptement, et à pas de loup suivirent les princes.Ils arrivèrent bientôt dans une clairière où ils virent chanter et danser cent-deux jeunes filles. Sans hésiter, ils approchèrent.

Hunor et Magyar choisirent parmi elles les deux princesses et se partagèrent le pays. La province du soleil couchant fut attribuée à Hunor. Ses enfants devinrent les Huns. La province du soleil levant fut attribuée à Magyar. Ses enfants devinrent les Magyars.

   

mardi 8 janvier 2013

Le renard et le loup



"Le renard et le loup" , imaginé par Maiwenn (5 ans)





Il était une fois un loup et un renard. Un jour, le renard se coucha sur le chemin. Un charretier qui passait par là, le ramassa et le mit à l’arrière de sa charrette où il y avait déjà trois fromages. Le renard en saisit un, sauta avec et s'échappa. 

En le voyant, le loup dit au renard:
«Où as-tu trouvé ce fromage?
- Viens avec moi, je vais te montrer», répondit le renard.

Ils allèrent à un étang. Il faisait noir, la lune jetait une clarté sur l'eau.
«Si tu bois toute l'eau, tu trouveras un fromage en dessous», dit le renard au loup.

Le loup se mit à boire, mais il ne pouvait pas tout vider, il tomba malade. Quand il se rétablit, ils allèrent vers une maison où il y avait de la musique et une noce.Tout à coup, ils se dirent:
«Nous ferions un meilleure festin si nous pouvions monter au grenier où il y a des poules.»

Ce fut ainsi. Quand ils furent rassasiés, ils se sauvèrent. Ils coururent pendant un bon moment quand ils trouvèrent un long piquet pointu. Le renard demanda au loup:
«Pourrais-tu sauter par-dessus?»

Le loup le fit.
«Maintenant essaie de sauter avec le dos tourné au piquet!», dit le renard au loup.

Le loup l'essaya mais le piquet lui rentra dans le ventre. Le renard lui dit:
«Secoue-toi bien! Tu vas voir, tu vas réussir à en sortir!»

Quand le piquet rentra bien dans le ventre du loup, le renard lui dit:
«Au nom du Père et du Fils,

Depuis longtemps je te tourmente,
Car tu as vendu la peau de l'ours
Avant de l'avoir tué.»

lundi 7 janvier 2013

Les braises magiques





Il était une fois deux frères. L'un était très riche, l'autre était très pauvre. Le riche avait beaucoup de terres, un grand troupeau de chevaux et de bovins. Le pauvre n'avait même pas une chèvre maigre, par contre il avait beaucoup d'enfants. Le riche, quant à lui, n'avait ni fils, ni fille.
Un jour, le pauvre envoya un de ses enfants chez son frère riche pour demander un peu de farine et de petit-lait. Le riche ne lui donna rien du tout et l'enfant rentra à la maison en pleurant.
Le pauvre homme fut affligé par le comportement de son frère. Les enfants pleuraient de faim. Le pauvre homme se mit alors en route et alla travailler dans le village voisin.
Le soir, en rentrant à la maison, il aperçut du feu dans la forêt. Il faisait tellement froid qu’il pensa s'en approcher pour se réchauffer un peu. Quand il fut tout près du feu, il vit qu'un vieil homme était assis là.                  
« Bonsoir, vieil homme, dit le pauvre.

« A toi aussi, mon fils. Que fais-tu par ici? »

Le pauvre raconta son chagrin, ensuite salua poliment le vieux et rentra. A la maison les enfants pleuraient davantage : toute la journée, ils n’avaient mangé qu’un peu de patates et ils avaient très froid.
Le pauvre homme dit à sa femme : « Va chez mon frère et dis-lui qu'il nous donne au moins un peu de braise sinon les enfants vont mourir de froid! »

La femme partit mais revint vite en pleurant car le riche ne lui avait rien donné.
« Bon, d'accord, je vais chercher la braise moi-même, dit le pauvre, mais je la trouverai ailleurs. »

Il retourna dans la forêt. Le vieux était toujours à côté du feu. Il lui demanda de la braise.
« Prends-en, mon fils, une bonne pelletée. Ce qui ne rentrera pas dans ton fourneau, tu pourras l'étaler dans ta cour. »

Le pauvre le remercia et rentra à la maison avec la braise. Elle réchauffa bien toute la maison à tel point que le pauvre mit la moitié des braises dehors.
Le lendemain, au réveil, ils virent que le fourneau était rempli de pièces d'or. Il y en avait dans la cour également. Ils les ramassèrent et voulurent les peser mais ils n'avaient pas de boisseau. Le pauvre alla chez son frère demander un boisseau.
« Je te le prête à condition que demain tu fasses tes heures de travail chez moi. »

Le pauvre le lui promit. Une fois à la maison, ils pesèrent les pièces d'or : sept boisseaux en furent pleins. Quand l'un des enfants rendit le boisseau, le riche vit briller une pièce d'or au fond. Dans sa grande précipitation, le frère pauvre ne s'était pas aperçu qu’une pièce y était restée. Quand il la trouva, le frère riche arriva en courant chez lui comme s'il avait été mordu par un chien. Il resta bouche bée quand il vit la quantité d'or.
« D'où vient cet or? », demanda-t-il avec envie.

Le pauvre lui raconta qu'il avait reçu de la braise d'un vieil homme, et qu’il avait étalé le surplus dans la cour. C'est comme cela qu'il avait eu les pièces d'or. Le riche s'en réjouit, alla tout de suite dans la forêt et prit de la braise non pas avec une pelletée mais avec un chaudron. Il rentra en courant tellement il était heureux!
« Mon frère est fou, pensa-t-il, il est vrai qu'il a toujours été comme ça. Je vais lui montrer que j'aurai plus d'or que lui. »

A la maison, il n'étala pas le surplus uniquement dans la cour mais il en mit dans la grange et au grenier. Il était incapable d'attendre le matin et il se leva à l'aube pour ramasser les pièces d'or. Ce fut sa chance, car s'il était resté au lit plus longtemps, il serait mort dans l'incendie de sa maison. Toute la maison fut réduite en cendres et il perdit tous ses biens.

dimanche 6 janvier 2013

Les questions du Roi Mathias

Le roi Mathias jouissait d’une réputation de roi équitable. Un jour, il alla en compagnie de grands seigneurs visiter ses terres. Là, il rencontra un paysan qui jadis avait fait son service militaire dans son armée. Le roi le salua:
«Mes hommages, mon vieux!
- Je remercie ma femme, Majesté, répondit le paysan.»

Le roi enchaîna:
«Dis-moi, mon brave, est-il encore loin le lointain?
- Ma parole, il est juste aux cornes de mon bœuf, Majesté!
- Dis-moi, vieil homme, combien faut-il jusqu’à trente-deux?
- Seulement douze, Majesté.
- Pour combien de sous travailles-tu?
- Pour cinq, Majesté.
- A quoi servent les cinq sous?
- Je vis de trois et j’en perds deux.
- Dis-moi, mon brave, pourrais-tu traire les boucs?
- Bien sûr, Majesté!
- Mais tant que tu ne me revois pas, je t’interdis de fournir des explications à quiconque.»

Sur ce, le roi dit adieu au paysan et alla avec son escorte dans une ferme pour déjeuner. Après le repas, le roi se reposa pendant une ou deux heures. Pendant ce temps, les grands seigneurs retournèrent chez le paysan pour l’interroger:
«Dis, quand le roi te salua ainsi: «Mes hommages, mon vieux.» et que tu lui as répondu: «Je remercie ma femme.» Que voulait dire tout cela?
- Pour cinq pièces d’or, je vais vous donner la réponse.»

Les grands seigneurs sortirent les cinq pièces d’or, les donnèrent au paysan qui répondit ainsi:
«La formule de salutation du roi: «Mes hommages, mon vieux», voulait dire que je portais une chemise propre. Et moi, je lui ai répondu que je remerciais ma femme qui lavait mes vêtements.
- C’est très bien, brave homme», dirent les grands seigneurs et ils continuèrent à lui poser des questions.
«Que voulait dire le roi quand il t’a demandé si le lointain était encore loin et que tu lui as répondu: «Ma parole, il est juste aux cornes de mon bœuf, Majesté!
- Pour dix pièces d’or, je vais répondre à cette question aussi», dit le paysan.

Après avoir mis dans sa poche les pièces d’or, il se mit à parler:
«Cette réponse voulait dire que je suis déjà âgé et je ne vois pas plus loin que les cornes de mon bœuf.»

Les grands seigneurs se regardèrent et dirent au vieil homme:
«C’est très juste ce que tu dis. Mais explique-nous ce que voulait dire la question du roi : «Combien jusqu’à trente-deux?» et que tu lui as répondu : «Seulement douze, Majesté.»
- Je vais vous expliquer si vous me donnez vingt pièces d’or.»

Chacun compta les vingt pièces d’or devant le paysan sur la table et les seigneurs l’écoutèrent:
«Quand j’étais jeune et célibataire, j’avais trente-deux dents. J’en ai perdu vingt, actuellement j’en ai encore douze.»

Les grands seigneurs échangèrent un regard et approuvèrent les propos du vieux.
«Nous avons encore une question à te poser. Dis-nous ce que le roi voulait savoir quand il t’a interrogé sur l’usage de cinq sous et que tu lui as répondu que tu vivais de trois sous et que tu en perdais deux.
- Je vais vous le dire pour dix pièces d’or», dit le paysan.

Les grands seigneurs comptèrent la somme et le vieux donna l’explication suivante:
«Cela voulait dire que j’ai deux fils dont je paie les études moi-même. Quant aux filles, elles se marieront et me quitteront. Tout l’argent que je dépense pour elles, je ne le reverrai jamais. C’est comme si je le perdais.»

Les grands seigneurs se regardèrent et approuvèrent les paroles du vieux.
«Alors maintenant nous t’adressons notre dernière question. Quand le roi t’a demandé si tu pourrais traire les boucs, tu lui as répondu : «Bien sûr, Majesté !» Mais le roi t’as demandé également de ne pas donner l’explication à quiconque avant de le revoir.»

Le vieux répondit ainsi:
«Je vais éclaircir cela aussi pour trente pièces d’or.»

Chacun d’entre eux sortit les trente pièces d’or, ensuite le vieux parla ainsi:
«Messieurs, ne vous sentez pas vexés mais c’est vous qui êtes les boucs que je viens de traire.»

Il sortit les pièces d’or dans sa poche et montra le portrait du roi sur les pièces.
«Voyez, Messieurs, c’est la raison pour laquelle je n’ai pas pu vous répondre avant que je ne voie le portrait du roi.»

Le roi était sûr que les grands seigneurs seraient curieux de savoir le sens des réponses du vieillard. Baissant la tête, ils partirent tous, honteux.

Ainsi finir l’histoire du roi Mathias, des grands seigneurs et du vieux.

L'homme est le plus fort

Conte imaginé par Endre Stankowsky



Un loup se traînait tristement dans la forêt. Queue et oreilles baissées, le regard rivé au sol. Il ne s’aperçut même pas qu’un ours venait en face.  Il leva la tête effrayé, seulement quand l’ours le salua :
«Bonjour, Messire Loup.
- Bien le bonjour, Compère Ours, répondit tristement le loup.
- Qu’est-ce que tu as? Tu as l’air si peiné!
- Ne m’en parle pas, Compère Ours ! Ne vois-tu pas que ma tête, mon cou, mon flan sont pleins de sang?
- Tiens, c’est vrai…Messire Loup, t’es-tu bagarré avec un autre loup?
- Mais non, mais non. Je suis tombé sur un homme et il m’a joué un vilain tour. Il m’a bien secoué!»

L’ours rit de bon cœur.
«Tu n’as pas honte, Messire Loup. Un homme te pose problème? Il ne me suffirait pas pour me rassasier!»

Le loup répliqua :
«Ne te crois pas si malin, Compère Ours! Je suis convaincu que l’homme est la bête la plus forte au monde. Je le sais par expérience.
- Comment cela?
- Simplement je suis allé au village dans l’espoir de tomber sur un morceau d’agneau rôti. Mais par malheur, le chien m’a vu, et bien que nous soyons en parenté, il a révélé ma présence à son maître… à l’homme. Celui-ci, quand il a entendu l'aboiement, est sorti de la maison avec une hache. Avec son arme, il m’a tellement battu que j’ai eu du mal à déguerpir.
- Je te dis quand même, insista l’ours, que je ne ferai qu'une bouchée de l'homme.
- Moi, j’insiste à mon tour, et je te dis que l’homme est la bête la plus forte.
- Je voudrais bien voir ça!
- Tu en auras l’occasion!»

Sur ce, l’ours arracha un buisson et il en fit des petits morceaux.
«Regarde, Messire Loup, ce que je réserverai comme sort à l'homme!
- A qui le dis-tu! Seulement l’homme ne se laisse pas faire comme le buisson.
- Qu’il se laisse faire ou pas, de toute façon je le déchiquetterai!
- Je n’y crois pas.
- Parions!
- Tope là!
- De bon cœur!»

Ils parièrent un lapin, et ils se retirèrent derrière un buisson en attendant l’arrivée de l’homme. Ils restèrent longtemps à le guetter jusqu’à ce qu’un enfant passe par là. L’ours demanda:
«C’est un homme, Messire Loup?
- Non.
- Alors quoi?
- Ce sera un homme…»

Ils continuèrent à attendre, à guetter. A un moment, un vieux mendiant passa par là.
«Est-ce un homme, Messire Loup?
- Non.
- Alors quoi?
- C'était un homme…», dit le loup.

Le temps passait, ils attendirent, ils attendirent, d’un seul coup un hussard à cheval arriva.
«Alors, celui-ci est-il un homme? demanda l’ours.
- Oui, lui, il en est un!», dit le loup.

L’ours ne se le fit pas dire deux fois, il sauta de derrière le buisson et se mit sur le chemin du hussard.
«Dis donc! cria le hussard. Sors de mon chemin. Je suis du régiment du roi!»

Il eut beau dire et faire, l’ours ne remua pas. Sur ce, le hussard dégaina de son pommeau un pistolet à deux canons, et pouf paf! tira deux fois sur l’ours. Il fut touché deux fois, mais cela ne lui fit rien du tout! Comme si on lui avait jeté deux pommes sauvages, il ne bougea pas, il secoua seulement un peu sa fourrure.
«Arrêtons-nous un instant, cria le hussard, moi, je vais te raser!»

Il dégaina son épée bien tranchante et le frappa plusieurs fois. C’était largement suffisant pour l’ours! Celui-ci prit la fuite en poussant des rugissements épouvantables. Il ne regarda ni à gauche, ni à droite, courut par monts et par vaux, comme si on lui avait arraché les yeux. Il ne s’arrêta qu’arrivé dans sa grotte.
Il fallut longtemps pour qu’il puisse se remettre debout et qu’il en sorte.
Une fois remis, il alla faire un tour et rencontra le loup!
«Alors, Compère Ours, dit le loup, c’est moi qui ai gagné le pari!
- Tu l’as gagné, c’est vrai! Ne t’inquiète pas dès que je me ressaisirai, je t’apporterai un lapin.
- Alors, es-tu d’accord avec moi pour dire que c’est l’homme qui est la bête la plus forte?
- Tu as raison, Messire Loup. C’est l’homme qui est la bête la plus forte! Je n’aurais jamais cru que je serais humilié à ce point-là! Quand je me suis rendu compte de ce qu’il m’avait fait, il m’avait déjà frappé deux fois. Cela ne me fit pas très peur mais quand il dégaina sa langue brillante et qu’il commença à me lécher avec elle, ce fut loin d’être une plaisanterie. Il vaut mieux être lâche une fois que mort pour le reste de la vie!»

Le sot du village





Il était une fois un empoté. Il croyait tout ce qu’on lui disait. Il oubliait tout ce qu’on lui confiait.
Un jour il se maria. Il vivait heureux avec sa femme. Leur bonheur durerait peut-être même aujourd’hui s’il avait eu assez de blé. Sa femme lui dit un beau matin:
«Va à la foire parce que nous n’avons plus de farine. Achète un boisseau de blé. Va le faire moudre pour que nous puissions cuire du pain.»
L’homme sot partit et pendant tout le chemin, pour ne pas oublier sa mission, il ressassa:
«Un boisseau de blé, un boisseau de blé…»
A un moment, il rencontra un paysan qui l’apostropha:
«Comment oses-tu me dire qu’il n’y a qu’un boisseau de blé? J’ai semé trois boisseaux dans mon champ. Et d’ailleurs, est-ce comme ça qu’il convient de saluer un paysan?
- Alors comment dois-je te dire bonjour?
- Dis plutôt que le Bon Dieu nous bénisse pour notre travail!
- D’accord, la prochaine fois c’est ce que je dirai.»
Il continua son chemin. Il vit au bord de la route deux hommes qui se bagarraient. Il s’approcha d’eux et enleva son chapeau.
« Que le Bon Dieu vous bénisse pour votre travail!
- Comment oses-tu nous dire une telle chose?
- Alors, comment dois-je dire?
- Dis plutôt que le Bon Dieu nous sépare!
- D’accord, la prochaine fois je dirai comme ça.»
Il reprit son chemin et rencontra un cortège de mariage. Les invités de la noce festoyaient, chantaient sur les charrettes attelées. La mariée et le fiancé étaient dans la première. Le sot sauta devant eux et dit:
«Que le Bon Dieu vous sépare!
- Nous venons de nous marier et tu nous souhaites déjà la séparation?
- Alors, comment dois-je m’exprimer?
- Tu aurais dû mettre ton chapeau sur ton bâton, tu aurais dû pousser des acclamations. «Hourrah, hourrah!»
- D’accord, la prochaine fois je ferai comme ça.»

Il continua son chemin .Il vit que deux bouchers menaient six cochons en direction de la ville. L’imbécile mit son chapeau sur son bâton et cria fort: «Hourrah! Hourrah!»
Les bouchers avaient déjà du mal à conduire leurs cochons, qui fonçaient à gauche, à droite. Mais quand ils entendirent le cri de cette godiche, ils partirent dans toutes les directions.

Le sot s’était pris des volées un peu partout, mais c’est ici qu’il a pris la pire !