jeudi 7 janvier 2016

Les douze princesses

Dessin: Eszter Bakos 

Il était une fois, dans les temps anciens, un roi qui avait douze filles. Il les soignait plus que la prunelle de ses yeux. Il les faisait dormir dans une grande chambre à coucher. Il fit mettre une barre de fer à l’extérieur de la porte qu’il cadenassa pour éviter que quiconque puisse entrer les voir. Chaque matin il constatait quand même que les douze paires de chaussures avaient été jetées dehors, qu’elles étaient usées, voire déchirées de la danse. Le roi ne pouvait pas imaginer par où ses filles sortaient la nuit. Il proclama dans tout le royaume qu’il donnerait une de ses filles à celui qui serait capable de lui dire ce qu’elles faisaient, où elles allaient la nuit.

De jeunes princes et comtes arrivèrent mais ils échouèrent, tous. Ils furent chassés sans exception du palais royal. De grandes annonces furent proclamées partout, dans toutes les villes du royaume:le roi fit la promesse de donner une de ses filles à celui qui trouverait la clé du mystère.

Un jour, un soldat s’arrêta devant une des grandes annonces et en lit le texte en soupirant:

«Comme ce serait bien si je pouvais le faire! Comme ce serait bien de devenir roi?»

Un vieil homme entendit ses paroles et lui dit:

«Je viens d’entendre ta demande. Je vais te dire comment t’y prendre.»

Le soldat s’en réjouit.

«Ecoute-moi bien! Vas tranquillement au palais royal, présente-toi et accepte la mission. Demande une chose : que tu sois logé dans une chambre dont la porte s’ouvre sur la chambre à coucher des jeunes princesses et que cette porte ne soit pas fermée. Si l’on te propose du vin, ne contredis pas, mais ne le bois pas non plus. Par contre, fais comme si tu l’avais bu, et verse dans la poche intérieure de ton manteau. Tiens, voici ce manteau, il est fin comme un papier de cigarette et il te couvrira entièrement. Quand tu l’auras revêtu, tu seras invisible. Tu as compris?» dit le vieillard.

«Oui, j’ai tout compris et je vous remercie de vos bons conseils», dit le soldat.

Sur ce, le soldat se dirigea vers le palais royal où il se présenta et annonça qu’il souhaitait relever le défi.

«C’est bien, c’est ton genre de jeune homme dont  j’ai besoin», dit le roi.

Il donna à manger et à boire à ce jeune prétendant et lui demanda.

«Aurais-tu besoin d’autre chose?»
«Non, de rien. Je voudrais juste dormir tout près de leur chambre, autrement je ne m’apercevrai pas du moment où elles partent.» dit le soldat.

Le roi donna son accord. Les demoiselles, avant de se préparer, donnèrent à boire au soldat. Elles lui préparèrent la même potion magique que pour les autres. Quand la princesse la plus âgée entra dans la chambre du soldat, celui-ci était déjà couché dans son lit.

«Alors, brave soldat, buvez de ce bon vin, les autres prétendants en ont bu aussi. Nous ne voudrions pour rien au monde que vous n’en receviez pas!» dit la princesse.

Le soldat le prit délicatement et versa dans la poche intérieure de sa veste. La princesse ne s’aperçut rien. Le soldat fit semblant de s’endormir immédiatement à tel point qu’il feignit de ronfler.

«Il dort déjà bien, nous pouvons partir», dit-elle aux autres.

Le soldat entendit le bruit des chaussures, du frôlement des robes et du ricanement des princesses.
La plus jeune princesse dit:

«Je ne sais pas comment dire mais j’ai un mauvais pressentiment!»

«Tu dis toujours de telles choses. Pourquoi as-tu ce sentiment mitigé? Ce pauvre soldat a failli s’endormir sans notre boisson ! N’entends-tu pas comme il ronfle?» répliqua l’aînée.

Tout à coup, le soldat vit que les princesses écartaient un tissu blanc qui cachait une porte secrète dissimulant une sortie. Les douze princesses sortirent par cette porte vers un lieu souterrain, vers un monde mystérieux.
Le soldat revêtit son manteau qui le rendait invisible et suivit en courant les demoiselles. Il fut si rapide que sans le faire exprès, il marcha sur la robe de la plus jeune princesse qui poussa un grand cri.

«Pourquoi hurles-tu? Qu’est-ce qui t’a fait peur?» lui demandèrent ses sœurs.
«Quelqu’un a touché ma robe», répondit-elle.
«Mais non! Ta robe s’est sûrement accrochée à un clou», lui dirent les autres.

Les princesses descendirent de nombreuses marches et arrivèrent dans une magnifique forêt en cuivre. Les arbres fleuris étaient en cuivre. En passant devant l’un d’eux, le soldat cassa une petite branche qui fit un bruit éclatant. La plus jeune princesse eut peur, poussa un grand cri et dit:

«Eh bien, qu’est-ce que c’est?»
«Sûrement un coup de feu pour nous saluer. C’est bon signe. Nous allons bientôt voir les princes», lui répondirent les autres.

Elles continuèrent leur chemin. Elles arrivèrent à une grande et magnifique prairie en argent pleine de fleurs en argent. Le soldat eut envie d’en avoir une comme souvenir. Mais la plus jeune princesse eut à nouveau peur. Les autres le répondirent et continuèrent leur chemin.

Elles arrivèrent à un vaste endroit où il y avait une prairie. Sur la prairie en or, il y avait un pommier en or. Le soldat cassa une petite branche ici aussi.
Après avoir fait une bonne marche à pied, les princesses atteignirent un grand lac où elles étaient déjà attendues par douze princes sur douze bateaux. Elles reconnurent leur prince, elles se jetèrent dans leurs bras et ils montèrent ensemble à bord.

Le soldat s’embarqua le même bateau que la plus jeune princesse. Le prince conduisit et il constata que le bateau était bien plus lourd que d’habitude.

«C’est probablement à cause de la grande chaleur!» pensa-t-il.

Ils débarquèrent en arrivant à la rive. Un énorme bâtiment était illuminé, la musique s’entendait de loin. Les douze princes prirent les douze princesses par le bras, et ils se dirigèrent vers une grande salle. Le soldat les suivit partout, couvert par son manteau invisible. Ils dansèrent, ils s’amusèrent. Le soldat emmena danser la plus jeune princesse qui lui demanda à boire. Le soldat avant de tendre un verre à la princesse, il le vida d’un trait.

«Je ne sais pas comment cela est possible, je demande à boire, je prends mon verre qui est encore plein et maintenant il est déjà vide. Cette nuit, je ne me sens pas bien!» dit la princesse.
«C’est encore toi! Arrête de parler!» rétorqua la soeur aînée.

Ils dansèrent jusqu’à l’aube mais elles devaient retourner chez elles avant le lever du soleil. Les princes les raccompagnèrent aux bateaux qui les conduisirent sur la rive opposée. Le soldat alla avec elles. Mais avant qu’elles n’arrivent en bas de l’escalier, il monta en courant dans sa chambre, il se coucha, et fit semblant dormir.

Les princesses virent le soldat et s’exclamèrent ensemble:

«Eh bien voilà, il est là. Il n’était au courant de rien. Il dort comme un bébé. Il n’y a aucun problème!»

Elles se déshabillèrent et allèrent se coucher.

Lendemain, le roi fit appeler le soldat et l’interrogea:

«Majesté, je sais des choses!» dit-il.
«Alors, raconte-moi tout!» répondit le roi.
«Je ne peux pas encore parler. Je dois rester là encore deux nuits. Après la troisième nuit, je vous raconterai tout», assura-t-il le roi.
«D’accord!» dit le roi.

La deuxième soirée arriva. Tout se passa comme la première nuit. La troisième nuit, tout se produisit de la même façon. Durant la troisième soirée, le soldat vola un verre qui était sur  la table de la salle de danse pour le monter au roi. Les noms des douze princesses étaient gravés dans le verre en or.

Elles rentrèrent comme d’habitude et trouvèrent le soldat au lit comme les autres fois.
Le roi attendait impatiemment le dernier matin. Il voulut entendre les révélations du soldat. Il le convoqua et lui dit:

«Alors maintenant, dis-moi la vérité!»
«Je vous dirai la stricte vérité. Je sais tout», dit le soldat.
«Très bien, mon fils. Je te donne une de mes filles, je te laisse choisir mais avant cela, raconte-moi tout», dit le roi.

Les princesses tendirent l’oreille derrière la porte, et elles entendirent tout ce que le soldat racontait. Elles étaient ébahies et constatèrent que le soldat disait la vérité.

«Nous n’avons rien à nier, il sait tout», se dirent-elles.

Le soldat montra ses preuves: la petite branche en or et en argent, et le verre en or. Le roi fut entièrement convaincu. Il posa la question à ses filles pour être sûr de la vérité des paroles du soldat. Elles approuvèrent tout.

«C’est très bien, mon fils. Tu peux choisir une de mes douze filles», dit le roi.
«Majesté! Je vous avoue que c’est la plus jeune qui me plairait le plus mais n’inversons pas l’ordre, je vais me contenter de votre fille ainée», dit le soldat.

Ils se marièrent, et ils eurent une grande noce qui dura sept jours et sept nuits. Même les boiteux se mirent à danser.

Conte transylvain